Le tricot
Dans les trucs qui me tracassent, y a que la vie est comme un pull qui se détricote. C’est vrai que j’en ai vaincu des chandails, réduits par mes soins à l’état de pelote emmêlée. Faut pas laisser dépasser de fil quand un chat rôde dans les parages… Moi, je n’avais pas réalisé que le temps était de la laine avec laquelle je jouais, mais j’aperçois le bout maintenant, et je me sens las.
Au début, se dessinait cet immense paysage à visiter, et j’avais toute une vie de chat pour cela. Sur la colline aux trois moulins, j’ai couru les musaraignes, dansé au clair de lune, lécher mon pelage six mille trois cent dix-neuf fois. Je n’oublierai jamais le vent dans mes moustaches quand les hélices tournaient ni le bruit du mécanisme qui couvrait mes ronrons.
Puis j’ai arpenté le temps et ses tempêtes jusqu’à la colline des deux arbres. Je me suis aperçu qu’il me restait le temps d’une vie d’oiseau. Pour dormir en rond, l’ombre des chênes était douce et j’en ai pris la légèreté. À quoi bon s’encombrer des nœuds du passé quand on peut goûter au vol des emplumés ? J’ai vu le monde d’un peu plus haut et les branches chargées de feuilles ont grandi sous mes pattes, elles ont étendu leur fraîcheur à mes idées.
Mais l’horizon m’appelait, et j’ai repris la route. Mes griffes lui ont laissé des cicatrices que mes coussinets apaisaient aussitôt.
Quand je suis arrivé sur la colline nue, il ne me restait que le temps d’existence d’un papillon. C’était parfait qu’il n’y ait rien puisque j’étais au milieu de tout. Aucun chemin ne menait là, il ne s’agissait pas d’une direction, non plus que tous les autres sens dans lesquels on peut marcher. On est nulle part partout. Je me suis dit que j’avais vidé un sablier et détricoté un pull entier. Ce n’était pas rien, cela avait même été doux. Et puis je me suis mélangé au vent.
Essai de calligramme, le texte ayant été légèrement modifié depuis.